Carte d'Ang Thong National Park
Les excursions commencent tôt en Thailande : pris en mini-bus à 7h30 à notre hostel, départ à 8h en ferry depuis le port de Ko Samui. De toutes facons, on s'est déjà habitués à nous reveiller tous les jours à 6h30, en même temps que la nature qui ne se gène pas pour nous asséner ses milliers de sonorités différentes.
Petit déj dans le ferry en bois, en compagnie de chinois, portuguais, etc. L'humeur est joyeuse à cette heure matinale. Le temps est au beau fixe, la mer limpide. Au bout d'1h30, les aiguilles calcaires d'Ang Thong surgissent du néant, éclatées en une quarantaine d'ilots. Nous naviguons entre quelques unes, admirons leurs formes altérées, les grottes qui les constèlent et la végétation qui s'en empare. Nous nous arrêtons au lagon bleu, une grande bassine renfermant une eau turquoise pure dans laquelle il est interdit de se baigner (1ère frustation), visible à basse comme à haute altitude en empruntant en grand escalier très abrupte. Y'a pas à dire, le site est tout de même très joli, ses beaux panoramas nous font même oublier la rancoeur éprouvée la veille à l'achat forcé des billets.
La suite est encore meilleure : 40 minutes de kayaking le long de quelques ilots, en passant dans des grottes semi-immergées. La pluie se mèle à la partie : soudainement des trombes d'eau tombent du ciel, dégoulinent le long des falaises et forment des cascades sur les renfoncements dans lesquels nous nous abritons. Voguer en kayak dans des semi-corridors couverts par des rideaux d'eau chaude est une sensation incroyable ! Le leader de notre troupe de kayakistes nous mène dans les chemins les plus tortueux aux abords des falaises ainsi que sous la pluie, ce qui nous fait jubiler.
La pause déjeuner qui s'ensuit dans le ferry est torchée en 10 minutes : il s'agit de se farcir tout le programme dans le temps imparti et là encore tout est bien rodé. Sauf qu'on gravillon vient bloquer les rouages bien huilés de l'excursion; le temps se gâte et pas qu'un peu...
Nous sommes une quinzaine de malheureux sur une petite jonque en bois à moteur qui fait le relais entre le ferry et la prochaine plage quand la tempête nous surprend. Ce que la météo locale appelle lightning shower, la douche orageuse, typique de la saison des pluies qui débute dans le sud de la Thailande. La pluie s'intensifie au point de ne plus voir à 10 mètres, poussée à l'horizontale par un vent violent qui fouettent nos visages hagards. Les vagues se soulèvent, de plus en plus épaisses. La jonque essaie tant bien que mal d'accoster au quai flottant de l'ilôt principal, qui au gré des vagues se dérobe à toute approche. Le groupe précédent qui avait déjà débarqué fuit vers les baraquements de fortune, nous laissant seuls à la merci des éléments. Notre chaloupier décide de retourner au ferry, à quelques centaines de mètres de là, ce qui parait énorme à surmonter avec ce minuscule moteur.
Sur le trajet retour, on observe une bande de kayakistes d'un autre tour touristique complètement submergés par la force des éléments : certains font du surplace en pagayant avec leurs dernières forces, d'autres ont chavirés et se laissent porter par les vagues, d'autres encore sont dangeureusement près des falaises. Des cris fusent, quelques thaï se rapprochent en zodiac pour tenter de les secourir. Finalement, je me dis qu'on est pas trop mal lotis dans notre chaloupe. Mon voisin indien essaie de détendre l'atmosphère en me disant qu'il avait les mêmes pluies torrentielles en Inde, ce qui n'a aucun effet sur mon ressenti.
A l'approche du ferry, le vent redouble d'énergie. Les quelques personnes du staff restées à bord nous font de grands signes pour nous interdire d'accoster : trop dangereux.
Nous voilà définitivement livrés à nous mêmes. J'ai l'impression d'être dans une galètre d'immigrés africains en train de surmonter la colère des eaux au large de Lampedusa, Italie. Les deux thaï du staff à bord de notre galère, eux, restent stoïques. Ils ont l'habitude des caprices de la mer.
Le chaloupier perçoit une petite plage sur une île isolée, qui a en plus l'avantage d'être protégée du vent. On s'en approche, et lorsque quelques mètres nous en séparent, on n'y tient plus, tout le monde saute à l'eau ! La mer nous réchauffe de la saucée froide qu'on s'est prise à bord, on reste immergés jusqu'au cou avec grand soulagement. Nous restons ainsi une heure à flottiller gaiement dans une eau à 30°C. Certains se réfugient de la pluie sous la proue de la jonque, s'allument une cigarette, moi j'opte pour me couvrir la tête avec mon gilet de sauvetage. Quelques pas sur la plage me révèlent que nous avons débarqué sur une île-déchetterie, qui accueille sans broncher tous les déchets du parc national. Il aura fallu d'un imprévu dans l'excursion pour s'aperçevoir de tout n'est pas rose à Ang Thong : une île est sacrifiée pour les besoins du tourisme, et ce même dans un parc national. Combien de déchetteries comme celle-ci existe-il au large des iles paradisiaques de la Thailande ?
Lorsque la tempête affiche une accalmie, nous réembarquons sur la jonque et retournons au ferry qui cette fois daigne nous accepter. L'ambiance est à la détente, on nous permet même de faire des sauts depuis le pont du 2ème étage, soit un peu plus de 5 m de haut. Je n'hésite pas à me lancer dans le vide en poussant des cris toniturants, évacuant ainsi la tension des dernières heures. Marine, elle n'ose pas sauter. Trop tôt pour braver la hauteur de chute.
Nous nous séchons et buvons du café chaud. En attendant le premier groupe qui était resté bloqué sur la plage initiale, je photographie les passagers thaï de l'après crise : ils rient beaucoup de la situation, comme si c'était parfaitement bénin. Ce doit être en effet courant lorsque l'on passe son temps sur l'eau.
Là, notre superhéros kayakiste et gestionnaire de jonque en galère qui fait sécher son short sur le moteur du ferry.
Là, une réfugiée climatique chinoise qui se réchauffe en buvant du thé brulant.
Ici, le groupe de portuguais qui fait mumuse avec nos masques et tubas avant de chanter pendant 2 heures les hymnes de leurs pays.
Le 1er groupe mettra une heure et demie pour revenir, extenué et trempé jusqu'aux os. On nous raconte qu'ils avaient entamés la rando sous la tempête pour se réfugier dans les grottes du sommet, mais que c'était devenu impraticable sur les rochers abruptes et glissants. Certains ont craqué en cours de route, fondant en larmes. Je ne sais pas laquelle des situations était finalement la pire : la leur sur terre ou la notre en mer ?
Il faudra un peu plus de 2h au ferry pour revenir au port de Ko Samui, balloté par les vagues, rendant les passagers malades. Certains vomissent, d'autres comme moi qui ont pris des pastilles anti-nausées se tiennent assis, la tête entre les mains au rythme des balancements, tentant de refluer les remontées de bile pendant la durée interminable du trajet. J'ai ainsi eu tout le temps de repenser aux dires de la vendeuse qui nous a refilé ces tickets... always a wonderful weather in Ang Thong... BULLSHIT !
Notre retour sur la terre ferme n'arrange rien à notre humeur. Nous tanguons toute la soirée, toutefois soulagés d'être sains et saufs. En tout cas, c'était notre première journée à sensations fortes et la gestion de crise des thailandais avec leur attitude ultra-relax était au top !